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Le charpentier accusé de bigamie

Parmi les impacts les plus frappants du tremblement de terre, questionnés lors de l’enquête lancée par Sebastião José de Carvalho e Melo, figure la destruction de maisons importantes. Par conséquent, à ce questionnement autour de la ruine des bâtiments les plus importants, c’est par un haussement d'épaules que répondraient beaucoup de ceux qui s’étaient retrouvés libérés ce jour-là, au beau milieu de la rue, après avoir été détenus à l’intérieur du Palais de l’Inquisition, qui fut sévèrement touché par la catastrophe. Parmi les cas les plus insolites, il y avait des hommes poursuivis dans des procès de bigamie, délit assez fréquent au milieu du XVIIIe siècle. De nombreux artisans cherchaient à échapper aux contraintes de la vie sociale, en matière de dettes ou de vie matrimoniale. Ils se rendaient au Brésil, où ils se mariaient souvent une deuxième fois. Ce fut le cas de nombreux charpentiers, employés aux chantiers de Ribeira das Naus ou assurant des travaux d’entretien pour le compte des propriétaires de carrosses, de voitures ou de charrettes. Par ailleurs, le groupe des prisonniers de l’Inquisition n’avait sans doute rien à voir avec les nombreux voleurs qui, ce jour-là, avaient tenté de mettre la main sur des bijoux, des pièces de métal précieux ou des croix d'argent, en s'introduisant en masse dans les maisons et les églises, forçant les portes à la recherche des perles, bagues ou éventails que portaient les dames évanouies. Parmi ces voleurs, beaucoup n’hésitèrent pas à amputer les membres des morts pour s’emparer des bijoux, répandant une terrible légende. 

Cependant, la plupart des prisonniers de l’Inquisition n'étaient pas de vulgaires voleurs relevant du droit commun. Au moins l’un de ceux qui avaient été arrêtés par l’Inquisition, subitement libéré le 1er novembre 1755, correspondait à la description des charpentiers accusés de bigamie. Il avait été condamné aux galères, d'où il s’était enfui, invoquant de graves problèmes de santé et les mauvais traitements infligés par les personnes chargées d’exécuter la sentence. Condamné à cinq années de plus, il avait été à nouveau emprisonné, puis libéré par la catastrophe. Comme les autres survivants, il avait erré dans les ruines, où il avait certainement remarqué lui aussi l’horreur des vols. En réponse à la vague de pillage, il régna un climat coercitif violent, imposé par le ministre Sebastião José, avec des pendaisons sommaires (34 au cours des premières semaines), les corps étant maintenus suspendus pendant des jours en guise d’intimidation, puisqu’il n’y avait aucun moyen de surveillance. En tout, 11 Portugais, 10 Castillans, 5 Irlandais, 3 Savoyards, 1 Polonais, 1 Flamand et 1 Maure subirent la pendaison. Peut-être pour éviter un sort encore pire, le charpentier bigame informa le tribunal de l’Inquisition qu'il se trouvait dans les rues de Lisbonne, « libéré involontairement » en raison du tremblement de terre. Bon nombre de ces prisonniers, à nouveau mis aux fers, furent emmenés pour dégager les décombres, rejoignant les rangs des condamnés aux galères, où ils étaient emmenés par le duc de Lafões.  

DANS LA SALA DOS CONTOS  

Après avoir été arrêté au Brésil pour bigamie, ce charpentier a été amené au Portugal pour y être jugé. Il a été emprisonné au palais de l’Inquisition, où il attend la décision du tribunal. Après le tremblement de terre, il raconte :  

La terre a tremblé. Très fort. Elle a tremblé trois fois même. Difficile de dire combien de temps le tremblement de terre a duré dans cette cellule minuscule, mais j’ai bien cru qu’elle ne s’arrêterait jamais. Les murs de ma cellule se sont effondrés... Et sans le vouloir, je suis devenu un homme libre. J’ai hésité à me jeter dans la rue en raison de l’incendie qui faisait rage, mais je savais que si je restais dans ma cellule je mourrais écrasé. Je devais saisir ma chance. Je suis parti à la recherche de vêtements et je me suis mêlé aux survivants. J’ai aperçu des hommes qui pillaient les décombres des maisons, récupérant de l’or et de l’argent, parfois même sur les cadavres. La tentation était grande... Mais rapidement, des gardes sont arrivés pour arrêter les voleurs. Dans les jours qui ont suivi, 34 voleurs, originaires du Portugal mais aussi de toute l’Europe, ont été pendus. Leurs corps sont restés accrochés, tout en haut des potences, se décomposant aux yeux de tous... D’autres ont eu de la chance : ils ont simplement été condamnés à déblayer les décombres. 

Scène romantique : soldat du régiment d'infanterie de Moura faisant ses adieux à une jeune fille en pleurs, 1767,  aquarelle de Carlos Julião (1740-1811) - source: Bibliothèque nationale, ministère de l'Éducation et de la Culture, Rio de Janeiro

Les représentations des coutumes libertines du nouveau monde étaient encore présentes tout au long du XVIIIe siècle. De nombreux fonctionnaires de la Couronne signalaient la difficulté de s'adapter à un pays où tous les comportements étaient tolérés. Le cas des artisans à la recherche d'or, mais aussi le mythe de l'amour libre dans les zones reculées du Brésil, ont continué à alimenter le départ du royaume de milliers de nantis et d'aventuriers, même après la parution des lois interdisant de voyager sans l'autorisation de la Couronne. Les dragons (une troupe d'élite), et les militaires en général, alimentèrent une littérature satirique, faisant du Portugais un personnage exotique dans un pays en construction.

LIEUX À VISITER

BIBLIOGRAPHIE

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Delminda Maria Miguéns RIJO, «Palácio dos Estaus de Hospedaria Real a Palácio da Inquisição e Tribunal do Santo Ofício», Cadernos do Arquivo Municipal, 2ª Série, nº 5, janeiro/junho, 2016, pp. 19 – 49.  http://arquivomunicipal.cm-lisboa.pt/fotos/editor2/Cadernos/2serie/cad5/artigo01.pdf

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Ronaldo Manoel SILVA, «Seja declarado por convicto e confesso no crime de sodomia»: uma microanálise do processo inquisitorial do artesão Manoel Fernandes dos Santos (1740-1753), Dissertação de Mestrado em História Social da Cultura Regional, UFRPE, 2018.

Maria da Graça SILVA, Leis e Saberes do Ofício de Alfaiate na Época Moderna: O Caso da Cidade de Lisboa Setecentista, Dissertação de Mestrado, Universidade de Lisboa, 2012.

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